e président de l'UNOP, Abdelouahed Kerrar, a souligné dans cet entretien que l'activité de l'exportation qui est pour le moment marginale en Algérie, doit évoluer et espère que l'accès aux marchés extérieurs soit partie intégrante de la politique pharmaceutique nationale dans son ensemble.
Les deuxièmes journées de l’industrie pharmaceutique, organisées les 7 et 8 décembre sous l’égide de l’Union nationale des opérateurs de pharmacie (Unop), ont été une nouvelle occasion pour rappeler le dynamisme du secteur du médicament en Algérie.
Outre une croissance soutenue, passée de 473 millions de dollars en 2008 à près de deux milliards de dollars en 2017, ses opérateurs se distinguent par un engagement à l’investissement doublé de la préoccupation à émanciper le pays du marché de l’importation. Ce dynamisme résulte certainement du soutien des autorités publiques et de la volonté nationale à disposer d’une industrie performante. Il est la conséquence aussi de la vitalité d’action et d’organisation de l’Unop à défendre les intérêts de la corporation qu’elle représente et à porter sa voix dans l’objectif très ambitieux d’atteindre 70% de couverture des besoins nationaux en médicaments, tous types confondus. D’ici à atteindre cette ligne de crête, les difficultés ne sont pas des moindres, notamment en termes de régulation et de renforcement des capacités de couverture du marché domestique -52% actuellement. L’enjeu est de mieux s’organiser au plan national et d’aller vers les marchés extérieurs avec les meilleurs atouts possibles… Entretien avec le président de l’Unop Abdelouahab Kerrar.
Reporters : La facture des importations de médicaments s’est établie à 1,796 milliard de dollars durant les dix premiers mois de l’année 2018. Quel commentaire avez-vous sur ce chiffre en hausse (+12,76%) par rapport à celui observé en 2017 pour la même période ? Quelle explication à cela ?
Abdelouahab Kerrar : Ce que je peux dire, en tant que président de l’Unop, c’est que, sur les dix dernières années, la production nationale a augmenté en moyenne à un taux de 17,3%, là où l’importation a elle-même connu une croissance de 3,1%. La croissance de la consommation de médicaments a, durant la même période, enregistré un taux moyen de 8,3%. En définitive, il faut relever que la dépense nationale en médicaments a continué de croître, malgré la crise sévère qui touche les ressources en devises du pays depuis 2014. On peut en déduire à ce stade que les autorités publiques algériennes accordent un haut degré de priorité à l’accès aux soins pour l’ensemble de la population.
Le discours des autorités sanitaires comme celui des producteurs nationaux de médicaments et de produits pharmaceutiques est de faire réduire la facture des importations. Certains ont même parlé de la ramener dans un premier temps à moins d’un milliard de dollars. L’industrie algérienne dans ce domaine est-elle réellement en mesure de réduire cette facture ? A quel niveau ? Et à quelle échéance ?
Il faut observer d’abord qu’aucun pays au monde n’est en mesure de se passer de l’importation de médicaments. On peut certes renforcer la production locale, de manière progressive et réfléchie, et l’Algérie a accompli d’immenses progrès en la matière. Partant de là, et dans le contexte actuel, réduire administrativement l’importation reviendrait tout simplement à censurer l’accès des Algériens aux soins de qualité. Il faut se réjouir que ce ne soit pas là l’attitude des autorités sanitaires algériennes qui, pour leur part, ne parlent que de rationalisations des importations et de lutte contre les gaspillages, ce que tout un chacun peut comprendre et approuver.
Le discours des opérateurs nationaux oscille entre engagement à relever le défi de l’intégration industrielle et l’abaissement de la facture des importations et plainte contre un environnement qu’ils jugent encore peu favorable à l’investissement. Pourquoi ? Qu’elles sont les entraves qui heurtent l’acte d’investir dans le secteur actuellement ?
Au niveau de l’Unop, nous nous préoccupons effectivement du développement de la production nationale du médicament. C’est une priorité absolue aux yeux de nos membres comme du reste aux yeux de nos autorités. Cette question est au centre des Journées de l’industrie pharmaceutique nationale que nous organisons chaque année. Voilà une année déjà, nous nous étions félicités que le gouvernement algérien ait retenu officiellement dans son Plan d’action l’objectif d’atteindre une couverture à hauteur de 70% des besoins nationaux en médicaments. Nous avions en ce sens proposé une forme de «contrat de développement» sur la base duquel nous nous engagions à concrétiser cet objectif pour peu que l’environnement économique et réglementaire qui encadre notre activité soit mis à niveau et modernisé. Les termes de «contrat de développement» ont été rendus publics et sont consultables sur le site de l’Unop. Nous allons les renouveler cette année à l’issue de la seconde édition de mêmes Journées qui vient de s’achever il y a quelques jours.
S’agissant d’investissements, et en dépit de certaines contraintes bien connues, notre secteur connaît un engouement exceptionnel de très nombreux porteurs de projets. Le ministre de la Santé vient d’affirmer à cet égard que ce ne sont pas moins de 350 projets qui sont en cours de réalisation à l’heure actuelle dans notre pays. Pour l’Unop, la préoccupation n’est donc au pas au stade de l’investissement, mais dans la préparation des conditions effectives pour que tous ces projets puissent effectivement trouver leur marché et prospérer. Cela passe par une véritable stratégie de croissance sur les marchés extérieurs que nous invitons instamment nos autorités à mettre sur pied.
En octobre, et jusqu’en novembre dernier, le débat a porté sur les ruptures récurrentes de médicaments au niveau des officines. Est-ce toujours le cas, selon vous ?
Nous nous sommes largement prononcés sur ce sujet des ruptures qui, selon nous, trouvent leur origine principale dans les difficultés liées aux délivrances dans les temps des programmes d’importation pour les médicaments importés en l’état et la mise en place de procédures clairement affichées de régulation de l’importation, en gardant à l’esprit la sécurisation de l’approvisionnement pour les patients. Des concertations ont été organisées à cet effet entre les différents acteurs du marché, sous l’autorité de l’administration sanitaire. Des mesures ont été prises et ont, à notre connaissance, commencé à porter leurs fruits. Mais, sur le fond, nous avons en tant qu’associations actives dans la chaîne du médicament fait nos propositions. C’est l’administration sanitaire qui doit déterminer les procédures de mise en œuvre de la régulation pour l’année 2019.
Ce débat a, par ricochet, fait apparaître une autre question relative à la production du générique. Une des raisons des ruptures, semble-t-il, est le peu d’enthousiasme de médecins à prescrire du générique, donc du local, à leurs patients. Est-ce que c’est vérifié sur le terrain ? Y a-t-il d’autres raisons ?
Il faut savoir que la production algérienne est constituée à plus de 80% de médicaments génériques. Ces médicaments sont globalement acceptés par les patients. Un sondage commandé par l’Unop a révélé que 80% des Algériens étaient favorables au médicament fabriqué localement et lui faisaient confiance. Le problème principal du générique, dans notre pays comme dans le reste du monde, tient au fait que les marges liées à sa distribution sont faibles, du fait même de son prix lui-même réduit. La solution adoptée par notre pays a consisté dans l’octroi d’une forme de prime réglementaire à l’usage et à la prescription du générique. C’est une solution efficace qui a donné de bons résultats sur le terrain et qui est aussi une des clés du succès de la production locale sur notre marché. Cette querelle récurrente sur l’efficacité du générique est globalement derrière nous et il faut s’en féliciter.
Une des préoccupations actuelles est de voir nos opérateurs se placer à l’export. Certains y sont déjà. Combien sont-ils et pour quels marchés et quelles perspectives ?
De nombreuses entreprises locales ont commencé à exporter ou se préparent à le faire. Mais de manière générale, l’exportation est une activité marginale dans notre pays, la priorité absolue étant celle du marché local. A l’Unop, nous demandons à ce que cette situation évolue effectivement et que l’accès aux marchés extérieurs soit partie intégrante de la politique pharmaceutique nationale dans son ensemble. Il faut s’y préparer d’autant plus sérieusement que l’industrie nationale du médicament va cumuler des surplus de plus en plus importants au cours des prochaines années, que le marché interne, trop étroit, ne pourra pas absorber. D’activité marginale, l’exportation devrait devenir une pièce maîtresse de la politique publique. Cela impliquera des transformations structurelles y compris de notre législation qui, jusqu’à ce jour, interdit toute forme d’investissement à l’extérieur, y compris quand il s’agit d’acquérir un réseau de distribution de nos produits. Cette situation devrait évoluer à bref délai, l’exportation étant une démarche de longue haleine qui ne souffre pas de l’improvisation.
Récemment, le Directeur général de la Sécurité sociale a annoncé la mise à contribution des laboratoires pharmaceutiques, fabricants des médicaments innovants coûteux et destinés aux patients atteints de pathologies chroniques, dans le système de remboursement appliqué par les deux caisses de sécurité sociale. Qu’est-ce que cela veut dire au juste ?
C’est une mesure appropriée et qui a été par ailleurs adoptée par plusieurs pays développés. Elle concerne des médicaments innovants et très coûteux destinés à traiter des pathologies lourdes. Des zones d’ombre persistent dans la définition d’un médicament onéreux, dans la capacité des caisses d’assurance d’évaluer les échecs thérapeutiques, la prévalence, etc.
A propos de la mise en place de la nouvelle Agence nationale des produits pharmaceutiques, un point qui a été discuté lors de vos journées, vous dites que «si elle est correctement aménagée, elle est de nature à aider à la rénovation et à la modernisation du cadre légal». Une telle perspective, ajoutez-vous, est de permettre d’atteindre l’objectif «fixé d’une couverture des besoins nationaux à 70%». Qu’est-ce que cela veut dire et qu’attendez-vous de cette agence ?
Nous attendons de cette nouvelle institution, qui a été créée par la loi en 2008 mais qui n’est devenue opérationnelle qu’en 2017, qu’elle assume entièrement les lourdes attributions que la loi lui confère. Pour l’instant, elle continue de se débattre dans des problèmes de moyens humains et matériels qui limitent l’efficacité de ses interventions. A l’Unop, nous continuons d’affirmer que la poursuite du développement de l’ensemble de notre industrie est tributaire d’une agence nationale moderne, opérationnelle et efficace. Cette exigence est une des recommandations pour laquelle nous n’arrêtons pas de plaider devant les autorités nationales compétentes.